Querida Amazonia : les « quatre rêves » du pape François pour l’Amazonie

Loin d’autoriser l’ordination sacerdotale de diacres permanents mariés dans son exhortation apostolique Querida Amazonia publiée le 12 février 2020, le pape François exhorte tous les évêques à “[orienter] ceux qui montrent une vocation missionnaire à choisir l’Amazonie“ pour pallier le manque de prêtres dans la région. Il suggère également vivement d’entamer un processus d’inculturation dans l’Eglise.

Composée de 111 points et ponctuée de nombreux poèmes empruntés à des auteurs sud-américains mais aussi de citations des papes précédents, l’exhortation apostolique Querida Amazonia (‘L’Amazonie bien-aimée’, en espagnol) s’articule autour de quatre « rêves » exprimés par le pape François : un rêve social, un rêve culturel, un rêve écologique ainsi qu’un rêve ecclésial. Le texte ne prétend pas « remplacer » ni « répéter » le document final du synode sur l’Amazonie d’octobre 2019 mais veut offrir un « cadre de réflexion » (N. 2) pour orienter vers une « réception harmonieuse » du chemin synodal.

Le Souverain pontife n’évoque pas comme solution l’ordination sacerdotale de diacres permanents mariés, pourtant vivement suggérée dans le document final du synode sur l’Amazonie, mais exhorte tous les évêques « à être plus généreux en orientant ceux qui montrent une vocation missionnaire à choisir l’Amazonie » (N. 90). « J’attire l’attention sur le fait que, dans certains pays du bassin amazonien, déplore-t-il, il y a plus de missionnaires pour l’Europe ou pour les Etats-Unis que pour aider leurs propres vicariats de l’Amazonie » (N. 90).

Soulignant par ailleurs le manque de séminaires pour la formation des indigènes dans la région, le successeur de Pierre demande « de réviser complètement la structure et le contenu tant de la formation initiale que de la formation permanente des prêtres, afin qu’ils acquièrent les attitudes et les capacités que requiert le dialogue avec les cultures amazoniennes » (N. 90).

« Il ne s’agit pas seulement de faciliter une plus grande présence des ministres ordonnés qui peuvent célébrer l’Eucharistie ». Cela serait un « objectif très limité si nous n’essayions pas aussi de susciter » une nouvelle vie dans les communautés (N. 93). Il faut certes des prêtres, mais cela n’empêche pas que, d’une façon ordinaire, les diacres permanents – « qui devraient être beaucoup plus nombreux en Amazonie » –, les religieuses et même les laïcs assument des « responsabilités importantes », considère-t-il. Il en va de la croissance des communautés qui arriveront “à maturité dans l’exercice de ces fonctions grâce à un accompagnement adéquat“.

« Enfin, je voudrais rappeler que nous ne pouvons pas toujours penser à des projets pour des communautés stables, parce qu’il y a une grande mobilité interne en Amazonie, une migration constante souvent journalière, et la région s’est transformée de fait en un couloir migratoire, indique encore le chef de l’Eglise catholique. C’est pourquoi il faut penser à des équipes missionnaires itinérantes et soutenir l’insertion et l’itinérance des personnes consacrées, hommes et femmes, pour être avec les plus pauvres et les exclus“ (N. 98).

Ne pas “déprécier ce qu’il y a de bon dans les cultures“

En Amazonie, l’Eglise catholique doit par ailleurs se développer à travers un processus d’inculturation, c’est-à-dire grâce à « l’écoute et le dialogue avec les personnes, les réalités et les histoires de leur terre » (N. 66). Ce processus ne doit ni « déprécier ce qu’il y a de bon dans les cultures » locales ni se couper de la « richesse » de la Tradition millénaire de l’Eglise.

Le socle de l’inculturation est « la conviction que la grâce suppose la culture, et le don de Dieu s’incarne dans la culture de la personne qui le reçoit » (N. 68). Le processus d’inculturation exige un « amour du peuple plein de respect et de compréhension » (N. 78). Il doit encourager « l’annonce inlassable » de l’Evangile, transmis avec des catégories propres à la culture où il est annoncé.

Cela implique un double mouvement : une « dynamique de fécondation » pour exprimer l’Evangile et un « chemin de réception » pour enrichir l’Eglise (N. 68). D’autant que la relation avec Jésus-Christ « n’est pas contraire » à la vision du monde « cosmique » qui caractérise les peuples amazoniens car le Ressuscité pénètre toute chose (N. 74).

Intégrer des « éléments » de la culture indigène

« Ne nous précipitons pas pour qualifier de superstition ou de paganisme certaines expressions religieuses qui surgissent spontanément de la vie des peuples » (N. 78), met en garde la pape François. Il est en effet possible de recueillir « d’une certaine manière » un symbole autochtone sans le qualifier nécessairement « d’idolâtrie » (N. 79). Un mythe chargé de sens spirituel peut par exemple être utilisé sans être forcément considéré comme une « erreur païenne », moyennant cependant un « lent processus de purification ou de maturation ».

L’inculturation de la spiritualité chrétienne passe par un effort d’inculturation de la liturgie. Le pontife suggère ainsi d’intégrer dans la liturgie un certain nombre d’éléments propres à l’expérience des indigènes dans leur « contact intime avec la nature » : chants, danses, rites, gestes et symboles (N. 82).

Chaque homme sur terre doit « s’indigner »

Cette question de l’inculturation, le Souverain pontife en donne un authentique exemple en consacrant la première moitié de son exhortation à un long plaidoyer pour un triple “rêve“ social, culturel et écologique en faveur des habitants du bassin amazonien. Un « cri prophétique est nécessaire et une tâche est à accomplir en faveur des plus pauvres d’Amazonie » (N. 8). Ce cri « ne jaillit pas seulement du cœur des forêts mais aussi de l’intérieur des villes » (N. 10). Ce cri humain, fait « d’esclavage, d’asservissements et de misères » (N. 10) et de « vies déracinées (N. 21), exclut dès le départ tout « conservatisme qui se préoccupe du biome mais qui ignore les peuples amazoniens ».

Chaque homme sur terre doit « s’indigner » (N. 15) devant l’injustice de « l’histoire de douleur et de mépris » (N. 16) vécue par les habitants de la région, demande le pontife. Face aux « mentalités de colonisation », cette dernière se perpétuant aujourd’hui même si elle « se déguise et se dissimule », il convient en premier lieu de reconnaître les habitants de l’Amazonie comme « réellement humains » (N. 17).

« Pardon » pour les erreurs commises par l’Eglise

Pour « exercer sa mission prophétique de manière transparente » (N. 18), l’Eglise doit dès lors porter l’héritage des missionnaires qui « protégeaient la dignité des autochtones contre les abus ». C’est en tant qu’ »invités » (N. 26), que les membres de l’Eglise doivent donner aux plus pauvres de la région, particulièrement les autochtones, une place centrale car ils sont « dépositaires d’un trésor destiné à disparaître » (N. 29).  Le pape demande par ailleurs pardon pour les erreurs commises par l’Eglise dans le passé, et plus largement pour toutes celles commises lors de la « conquête de l’Amérique » (N. 19).

Face aux « migrations forcées » (N. 39) qui désintègrent peuples, familles et cultures, les jeunes d’Amazonie doivent « prendre en charge les racines » (N. 33) et rester attachés à leurs histoires, « cordon ombilical » (N. 34) qui unit des peuples « aussi variés que leur territoire » (N. 32). En effet, « l’identité et le dialogue ne sont pas ennemis » si cette première exclut tout « indigénisme complètement fermé » (N. 37).

Cette vérité de l’Amazonie est portée par les poètes, que le pontife cite abondamment dans son exhortation apostolique, elle est un chant « sa splendeur, son drame et son mystère » (N. 1). « Seule la poésie, avec son humble voix, sera capable de sauver ce monde », car le poète peut « libérer du paradigme technocratique et consumériste qui détruit la nature » et laisse l’homme « sans existence véritablement digne » (N. 46).

« Pour sauvegarder l’Amazonie, il est bon de conjuguer les savoirs ancestraux avec les connaissances techniques contemporaines » (N. 51), rappelle le pontife, défendant le droit des peuples amazoniens à une éducation ancrée dans leur rapport à la nature. L’Eglise a sa place dans cette tâche, avec « sa grande expérience spirituelle » et « son expérience renouvelée de la valeur de la création » (N. 60). Cette nouvelle relation passe cependant par un « système normatif » capable de préserver les peuples et la nature des « plus puissant » (N. 52).

Encourager ”les dons populaires” des femmes

Le pontife a en outre souligné le rôle majeur des femmes dans cette région (N. 99) : grâce au ”dévouement admirable” de certaines d’entre elles, de nombreuses communautés privées de prêtre se sont maintenues. Il faut donc cesser de penser l’Eglise en termes fonctionnels (N. 100) : ce ”réductionnisme“ revient à estimer que les femmes obtiendront un statut seulement si elles accèdent au sacrement de l’ordre. Une telle vision conduit à les ”cléricaliser”. Les femmes apportent leur ”contribution à l’Eglise d’une manière spécifique” notamment en prolongeant ”la force et le tendresse de Marie” (N. 101). 

Le pape appelle ainsi à encourager ”les dons populaires” des femmes en Amazonie. Selon lui, les femmes ayant des responsabilités doivent pouvoir accéder à certaines fonctions, y compris des services ecclésiaux qui ne requièrent pas l’ordination sacerdotale permettant de ”mieux exprimer leur place”. Ces ”services” impliquent une ”stabilité, une reconnaissance publique et l’envoi par un évêque” et doivent conduire à ”un impact réel et effectif” (N. 103) des femmes dans les ”décisions les plus importantes“.