Cet homme mérite la mort – il ne mérite pas la mort

PREMIERE LECTURE

SAMEDI, DIX-SEPTIEME SEMAINE DU TEMPS DE L’EGLISE – 2

 

« Quant à moi, me voici entre vos mains, faites de moi ce qui vous semblera bon et juste. Mais sachez-le bien : si vous me faites mourir, vous allez vous charger d’un sang innocent, vous-mêmes et cette ville et tous ses habitants »

Jérémie 26,11-16.24.

L’oracle de Jérémie contre le Temple (Jérémie 26,1-6), prononcé en 609 avant J.C., n’était pas fait pour plaire, mais pour obéir à l’ordre de Dieu. Il exposait le prophète à la vindicte des prêtres, des responsables politiques et de toute une partie du peuple. Ils se saisirent aussitôt de lui jusqu’à ce qu’arrivent les princes de Juda (26,7-10). On réclame sa vie : « Cet homme mérite la mort, il a prophétisé contre cette ville… » Jérémie savait à quoi s’attendre, il n’en était pas surpris. Il s’y était préparé. Il n’est pas facile d’être prophète.

Jérémie sait que sa vie est en jeu, mais il continue d’inviter le peuple à la conversion, conformément à la mission qu’il a reçue du Seigneur. La noblesse de sentiments du prophète me touche profondément. Si peu de temps auparavant, il avait exprimé sa crainte et son angoisse, il est maintenant maître de lui-même, et « capitaine de son âme ». Il fait l’expérience, à l’avance, de cette tranquillité d’âme et de cœur que Jésus annonçait à ses apôtre : « Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous ne direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Matthieu 10,19-20).

Je suis bouleversé par la similitude de la vie de Jérémie et de Jésus. Les deux sont là pour, tant qu’il en est encore temps, supplier le peuple de changer de route, de se ressaisir et de choisir la vie. les deux constatent que faute de vérité et de justice, le temple et toute sa liturgie ne sont qu’écran de fumée, proche du blasphème ! Les deux mettent leur vie en jeu. Les deux paieront le prix fort de leur obéissance à Dieu. Les deux seront vainqueurs, finalement, et avec eux les millions de martyrs de tous les siècles qui suivront. « Aimer, c’est tout donner, et se donner soi-même », chante sainte Thérèse de Lisieux.

Cette fois-là, par la clairvoyance d’un ami influent qui sauva Jérémie : « Comme la protection d’Ahiquam, fils de Shafan, était acquise à Jérémie, il échappa aux mains de ceux qui voulaient le faire mourir (26,24). Son heure n’était pas encore venue (cf. Jean 7,44-46 ; 8,59 ; 10,39). Shafan avait été le secrétaire de l’ancien roi Josias (cf. 2 Rois 22,14). C’étaient des hommes importants et respectés.

La destinée de Jérémie n’était-elle pas une prophétie de la destinée de Jésus lui-même, et juste avant lui, de Jean-Baptiste ? Si cette fois-là, Jérémie échappa à la mort, ce ne fut le cas ni du Baptiste, ni du Christ. La destinée de Jérémie annonce également la nôtre, car devenir l’ami de Jésus n’est pas une sinécure. Nous ne pouvons l’être qu’en nous attendant à être chargés de la croix, persécutés, vilipendés, mis au rancart, traités de ringards…

La croix et la persécution font partie de la destinée chrétienne. Nous ne sommes pas au-dessus du maître ; Cette croix n’est autre que le salaire de la vérité que nous devons proclamer haut et fort, mais toujours dans l’amour. « Ne tenez pas pour vérité ce qui manque d’amour, et ne tenez pas pour amour ce qui est dépourvu de vérité » (Ste Bénédicte de la Croix).

Seigneur Jésus, tu nous l’as souvent dit : le disciple n’est pas au-dessus de son maître. S’ils t’ont persécuté, malgré tout l’amour que tu as déversé durant ta vie sur terre, ils ne nous laisseront pas tranquille. Fasse, cependant, que notre témoignage rendu la vérité ne soit jamais dicté par autre chose que par l’amour que nous te portons et que nous portons à tous, de ta part, et selon ton exemple.

† Emmanuel Lafont

Evêque de la Guyane