Reconnaissance et ingratitude

Comme c’est étrange que de voir des hommes et des femmes oublier très vite les grâces qu’ils ont reçues. Un jour, je me trouvais chez un ami et je vis arriver un homme venu lui offrir deux kilos de poissons. Quand celui-ci fut parti, il m’expliqua que cela faisait 42 ans que cette personne lui faisait des cadeaux de ce genre parce que 42 ans plus tôt, il l’avait aidée à trouver du travail. Comme je m’en émerveillais, il a ajouté, pour tempérer mon enthousiasme, qu’il y avait de nombreuses autres personnes pour lesquelles il avait fait beaucoup plus et cependant, quand il les croisait en ville, elles changeaient de trottoir pour ne pas le saluer.

On voit donc qu’il y a deux catégories de personnes ; la première qui est la moins nombreuse composée de personnes reconnaissantes et la seconde, très nombreuse, composés d’ingrats. C’est ce que l’évangile de ce dimanche nous montre. Jésus guérit dix lépreux et c’est seulement un seul qui revient pour remercier Dieu et en plus c’est un étranger, un non juif.

Et nous est-ce que nous sommes des gens reconnaissants ou des gens ingrats ?

Est-ce que nous sommes reconnaissants envers ceux qui nous ont fait du bien à commencer par ceux qui nous ont mis au monde, nourri et élevé ou bien est-ce que nous sommes plus prompts à relever leurs défauts et leurs insuffisances. « Ah ouais, ou pa té ka quitté nous joué dérô-a ou bien ou té ka ba nou trop’ coups ». (Je ne parle évidemment pas des parents dits « toxiques ». Ce sont des malades ou des pervers. C’est alors compréhensible que les enfants soient traumatisés et n’aient pas de reconnaissance envers eux car ils les ont démolis… Je parle des parents ordinaires.)

Que nos pères et mères aient fait des erreurs, personne n’en doute. Est-ce que toi-même tu n’en fais pas avec tes enfants ? Mais est-ce que tu es reconnaissant pour tous les sacrifices qu’ils ont fait pour toi ? Déjà bébé, il fallait se lever toutes les trois heures pour te donner à téter ou le biberon. Evidemment tu ne t’en souviens pas mais tu devrais te rappeler toutes ces années ou l’on t’a logé, nourri, habillé et envoyé à l’école gratuitement, parfois payé des études au prix de lourds sacrifices et de grandes privations. Aujourd’hui si tu as un métier dans tes mains, c’est grâce à qui ? A toi tout seul ? Si tu avais été orphelin livré à toi-même aurais-tu réussi ?

Es-tu de ceux qui honorent leur père et leur mère et les gratifient de cadeaux jusqu’à leur mort ou fais-tu parti des enfants ingrats qui négligent leurs parents ?

Et Dieu, n’as-tu pas tout reçu de lui ? « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?» demandait déjà Saint Augustin. Es-tu reconnaissant envers Dieu ou le négliges-tu ? Lui rends-tu grâce pour le don de chaque journée, pour ce que sa main bénie t’offre chaque jour à commencer par la vie ? Ou bien es-tu comme ces 9 lépreux guéris qui sont partis avec leurs guérisons en poche reprendre possession de leur ancienne vie dont la lèpre les avait privés ? Ils ont supplié Jésus, ils ont été exaucés, ils se sont réjouis d’être guéris, mais ils ont oublié celui qui leur avait fait le don de la guérison. Ils ne sont pas revenus remercier ; seulement un seul sur dix. C’est pourquoi Jésus s’est écrié avec tristesse : « Et les 9 autres, où sont-ils ? » Oui c’est triste, car s’ils étaient revenus, ils auraient reçu d’avantage encore. Ils ont eu une guérison, en remerciant, ils auraient obtenu le salut : la vie éternelle. Retenons la leçon : Etre reconnaissant, c’est être déjà sur le chemin du paradis. Jésus dit alors au Samaritain : « Relève-toi et va, ta foi t’a sauvé. »

+ Alain Ransay, évêque de la Guyane