Les communautés monastiques après la pandémie: vers plus de solidarité

Hôtelleries fermées, magasins à l’arrêt, productions ralenties ou temporairement suspendues… Face au coronavirus, limiter au maximum les contacts avec l’extérieur était une nécessité pour les moines et moniales, et le reste encore pour certaines communautés, non sans conséquences financières et relationnelles. Entretien avec Dom Guillaume Jedrzecjzak, président de la Fondation des Monastères.

Si elles vivent déjà toute l’année en retrait du monde, pour elles la clôture n’a pas été synonyme de barrière imperméable face à la pandémie: les communautés monastiques ont aussi dû appliquer les mesures liées au confinement ces derniers mois, pour se protéger d’un virus qui a parfois franchi les murs de ces lieux de prière et d’hospitalité.

Au bout de quelques semaines, les conséquences sont rudes pour des finances essentiellement alimentées par les revenus liés à l’accueil et à la vente de produits artisanaux. À côté du volet matériel, il y a aussi l’aspect humain, des communautés ayant été parfois éprouvées. En France, l’abbaye de Saint-Benoît sur Loire par exemple a vu une vingtaine de frères contaminés et trois décès. Aujourd’hui les messes sont à nouveau ouvertes au public, mais l’hôtellerie ne devrait rouvrir que mi-juillet.

En France et en d’autres pays, la prudence reste de mise et il faut maintenant repenser les modalités d’accueil.

Nous en parlons avec dom Guillaume Jedrzecjzak, cistercien trappiste, abbé émérite du Mont des Cats, et président de la Fondation des Monastères, organisme de soutien aux communautés monastiques en France:

«Pour beaucoup de communautés, cela a été un point d’arrêt assez fort, à la fois au niveau de l’accueil liturgique, de l’accueil dans les hôtelleries monastiques, et aussi de l’accueil dans les magasins.

Cela dépend des cas, mais pour beaucoup de communautés, cela a été un moment difficile, car les hôtes font aussi partie de la célébration liturgique, ils y ont une place. Cela a donné une ambiance complètement différente au niveau de la célébration elle-même. Cela a pu être vécu un peu comme une retraite à l’intérieur même de la vie de retraite monastique. Mais pour beaucoup de communautés, il y avait une attention à ces personnes, qui au fond sont des habituées, qui venaient régulièrement et ne pouvaient plus venir. Le fait que les personnes n’étaient pas présentes n’a pas pour autant enlevé le lien qui existe avec les personnes de l’extérieur.

À présent, comment retrouver le lien? On a vu des communautés très éprouvées, comme l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire par exemple. N’y a-t-il pas une certaine peur, une tentation de l’isolement pour protéger la communauté?

La reprise se fait très progressivement. Il y a des normes qui de toute façon s’appliquent dans les locaux qui doivent accueillir du public, mais en plus il y a un certain nombre d’autres règles qui sont mises en œuvre. Cela dépend beaucoup de la structure même de la communauté: s’il y a des personnes fragiles, des précautions sont prises pour les protéger davantage.

Dans certaines communautés par exemple, au lieu de donner des feuilles aux fidèles qui viennent, on a installé des écrans, pour qu’ils puissent avoir les textes sur les écrans au lieu de les avoir sur papier. Parce qu’il y a aussi cet aspect de nettoyage qui est nécessaire, et qui dépend beaucoup des forces de chacune des communautés. Accueillir, c’est une chose, mais après il y a tout le travail en-deçà, au-delà, qui est absolument nécessaire pour garantir aux personnes une certaine sécurité. Mais toutes les communautés n’ont pas cette possibilité.

Que ce soit l’accueil monastique dans les hôtelleries ou les magasins, on a là deux sources importantes de revenus. Sur quoi les communautés peuvent-elles compter aujourd’hui pour faire face aux pertes financières?

La première étape a été la réouverture des magasins, avec un certain nombre de précautions prises, comme partout ailleurs. J’ai vu que beaucoup de monastères ont installé des plexiglas autour de la caisse pour protéger la moniale ou le moine; il y a aussi un sens unique établi à l’intérieur des magasins, avec un nombre restreint de personnes.

Une deuxième étape sera certainement la réouverture des hôtelleries, mais là ce sera plus compliqué, parce qu’il faut pouvoir garantir un certain nombre de conditions, et toutes les hôtelleries ne sont pas adaptées à cela.

Et puis il y a une solidarité qui s’établit aussi entre les communautés monastiques aujourd’hui. Avec la CORREF, la Fondation des Monastères a mis en place un fond qui va permettre d’aider les communautés qui sont actuellement en difficulté financière, pour les aider à passer ce cap difficile.

Le commerce en ligne peut-il aussi constituer un atout en cette période?

Le commerce en ligne peut jouer un rôle important, c’est vrai, pour certaines communautés, mais toutes n’ont pas des quantités suffisantes pour vendre en ligne. Je pense en particulier à toutes les communautés plus petites, comme les carmels, qui ont souvent une production plus réduite et qui ne peuvent pas vendre sous cette forme-là. Dans ce cas, je crois qu’il y a une solidarité qui se met en place entre les communautés.

Comment ça se passe dans le processus de production, les monastères étant partagés entre une certaine autonomie et des liens, avec les fournisseurs par exemple?

Des communautés ont continué à produire – je pense par exemple aux fromageries, aux brasseries… Il est de toute façon difficile d’arrêter ce type de production. Je sais que des ventes en ligne ont été faites à certains moments pour écouler des stocks qui étaient trop importants, cela a permis de vendre un petit peu plus. Certains monastères, je pense par exemple à Laval [monastère de cisterciennes trappistes] – qui a deux types de circuits, le circuit à travers le magasin monastique, plutôt bloqué, et un autre circuit, à travers le commerce normal et en particulier les supermarchés -, a continué à pouvoir écouler ses productions. C’est donc très différent d’un monastère à l’autre.

Pour produire, cela dépendait beaucoup des fournisseurs, cela dépendait beaucoup aussi des circuits de distribution qui suivaient, car si vous produisez mais que vous ne pouvez pas vendre, vos capacités de stocks sont quand même limitées. Des communautés ont décidé d’arrêter un moment. Et puis il y avait aussi une autre question importante pour la production, c’est le personnel: quand il y avait du personnel extérieur, il fallait voir quelles étaient les conditions possibles pour le [travail du] personnel. Cela est vraiment variable suivant chacun des types de production.

Cette pandémie que l’on a vécu et que l’on traverse encore aujourd’hui marque-t-elle un tournant dans la vie de certaines communautés?

Des communautés ont été très touchées par la pandémie elle-même – des frères ou des sœurs ont été malades, il y a eu un certain nombres de décès aussi. Je crois que cela restera quelque chose qui marquera profondément la communauté. D’autres, qui ont été moins touchées, l’ont vécu comme un moment de retrait et de mise à distance par rapport à la société. Là, peut-être que cela va interroger sur les modalités de production, sur le mode de vie, sur les rapports avec l’extérieur.

Il y a aussi un type d’accueil qui est l’accueil téléphonique, c’est-à-dire le fait que des gens téléphonent pour partager leurs difficultés. Et puis il y a une autre forme d’accueil, ce sont les personnes qui ont beaucoup souffert de la pandémie et qui ont des besoins économiques très concrets, qui frappent à la porte pour demander une aide concrète. Je pense donc que tout cela, sur tout le paysage social autour des communautés, va avoir une grande incidence.

Est-ce que les communautés monastiques, par leur mode de vie, étaient un peu mieux préparées pour faire face à la pandémie, aux mesures de quarantaine?

D’une certaine manière, la quarantaine, c’est la vie monastique normale, donc pour certaines communautés, ça a changé assez peu de choses, sauf le rapport avec l’extérieur, mais sinon à l’intérieur de la communauté, les choses n’ont pas beaucoup changé… sauf quand la pandémie est entrée elle-même dans la communauté. D’une certaine manière notre mode de vie nous prépare à cela, d’autant plus qu’il y a une certaine sobriété, qui fait que ça ne change pas grand-chose par rapport à la vie quotidienne.

Ce que je peux dire simplement, c’est qu’il y a une solidarité entre les communautés qui est en train de se mettre en place, qui est très importante en ce moment.

Vous qui avez une vision d’ensemble, quelles vous semblent être les priorités au niveau de la réflexion communautaire des monastères?

Deux choses: la vie communautaire à l’intérieur de la communauté, et la solidarité qui s’est peut-être établie avec l’extérieur. Ce sont deux aspects un peu différents.

La vie à l’intérieur de la communauté a été forcément très marquée par cette coupure avec l’extérieur, et pour beaucoup de communautés, cela peut être le moment de réfléchir à la manière dont on vit la vie communautaire, avec la place d’un certain nombre d’activités, et peut-être une remise en cause pour certaines choses. Et pour les rapports avec l’extérieur, je crois qu’il y a aujourd’hui ce sentiment très fort d’une solidarité, soit avec les autres communautés, soit avec les personnes qui entourent le monastère, et je pense que les liens vont changer de nature, seront peut-être beaucoup plus profonds.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican