Soyez simples comme des colombes

18 OCTOBRE 2019 
Vendredi, 28ème semaine du temps ordinaire
Fête de Saint Luc, Évangéliste
2 Tm 4, 10-17b
Ps 145, 10-13.17-18
Lc 10, 1-9
En cette fête de saint Luc, nous écoutons la lettre de Paul à son émissaire
de confiance, Timothée, dans laquelle il se plaint de n’avoir personne avec
qui voyager, à l’exception de Luc. Le compte rendu que Luc fait de ses
voyages avec Paul est caractérisé par un changement à l’improviste de la
narration : le fameux « passage au Nous » dans les Actes des Apôtres (cf. Ac
16, 10-17 ; 20, 5-15 ; 21, 1-18 ; 27, 1-28). Jusqu’au verset 10 du chapitre
16 des Actes, Luc reste en dehors de la scène, écrivant à la troisième personne.
Dans les versets 1 à 9, il relate les voyages de saint Paul en Phrygie,
en Galatie, en Mysie, en Bithynie et à Troas. Puis, à partir du verset 10, Luc
se met à employer la première personne du pluriel : « Nous avons aussitôt
cherché à partir pour la Macédoine, car nous en avons déduit que Dieu nous
appelait à y porter la Bonne Nouvelle. » Luc s’embarque donc avec Paul
et, par le biais de l’art du récit, invite son public au voyage missionnaire.
Au début de son Évangile, Luc révèle un détail sur lui-même. Il écrit qu’il
est en train de réorganiser les événements « qui se sont accomplis parmi
nous », tels qu’il les a reçus de ceux « qui furent témoins oculaires », en
d’autres termes : ceux qui avaient été avec Jésus dès le commencement de
son ministère public (cf. Luc 1, 1-2). Par cette phrase introductive, Luc
révèle à son public que lui-même n’est pas un témoin direct des faits rapportés.
L’évangéliste se joint à la communauté chrétienne naissante grâce
au témoignage personnel de ceux qui ont entendu la prédication de Jésus
et qui ont assisté en personne à la crucifixion et à la résurrection.

Matthieu (10, 1), Marc (6, 7) et Luc (9, 1) parlent du moment où Jésus
appela les Douze et, après une série d’instructions, les envoya en mission
pour annoncer la Bonne Nouvelle. Mais seul Luc rapporte que, plus tard,
Jésus chargea ce vaste groupe de soixante-douze disciples, dont il est question
dans l’Évangile d’aujourd’hui. Selon Luc, beaucoup plus de missionnaires
que les Douze furent impliqués dans la première évangélisation. Peu
avant de leur confier ce mandat, Jésus s’était mis en route pour Jérusalem
(cf. Lc 9, 51). Il envoie les soixante-douze pour le précéder et annoncer
son arrivée dans plusieurs villes. Ce second mandat préfigure l’expérience
personnelle de Luc, en voyage avec Paul.
Par l’envoi des soixante-douze (ou soixante-dix selon certains manuscrits),
l’action missionnaire auprès des peuples est non seulement légitimée
mais anticipée. Dans la tradition judaïque, les nations de la terre qui
avaient écouté la promulgation de la Loi sur le Sinaï étaient au nombre
de soixante-dix (cf. Gn 10 ; Dt 32, 8). Cela signifie que les disciples sont
envoyés à toutes les nations.
Le passage proclamé dans la liturgie de ce jour présente l’apostolat comme
une révélation du Royaume et du jugement déjà présents dans le monde.
Pour Luc, il ne s’agit pas d’annoncer la grandeur du Royaume à Israël,
mais de proclamer aux nations qu’il est proche. L’évangéliste écrit cela à
un moment où des témoins du Ressuscité existent déjà « dans toutes les
nations ». C’est le moment décisif de l’histoire, où la possibilité de faire
partie du Royaume de Dieu est offerte à tous.
La méthode de travail missionnaire des soixante-douze disciples, les caractéristiques
et les perspectives de leur oeuvre, sont semblables à celles
des Douze. Les recommandations de Jésus s’ouvrent par une invitation à
prendre conscience de la situation : des moissons abondantes et un nombre
réduit de travailleurs s’opposent dans un contraste significatif. D’où la
recommandation catégorique : « Priez donc le maître de la moisson. »
« La prière est l’âme de la mission » (Lettre du Pape François au Cardinal
Filoni, 22 octobre 2017). Dieu, qui est le propriétaire de la moisson, prend
l’initiative : il appelle et il envoie. C’est l’invitation à s’unir à la prière de
Jésus, à son exode vers le Père, qui s’exprime, pour les disciples et pour le
Seigneur, en se livrant entre les mains des hommes : « Voici, je vous envoie
comme des brebis au milieu des loups. » Les missionnaires ne peuvent pas
se fier à la force, au pouvoir ou à la violence. Leur seule richesse, c’est la
foi et la prière qui leur permettent d’être ancrés dans un rapport d’amour
personnel avec Jésus, le Maître, qui les envoie.
La pauvreté des débuts devient le fondement et le signe de leur liberté et
de leur dévouement à l’unique tâche qui les affranchit de tout empêchement
ou retard. Tout ceci est défini avec précision à travers une série de normes :
libres de tout obstacle, les envoyés vont droit au but, sans s’arrêter, pas
même pour saluer – contrairement à ce qu’exigeait la culture orientale de
l’époque – car cela aurait pris trop de temps (cf. 2 R 4, 29). La vraie salutation,
au contraire, est réservée aux destinataires de la mission. Ce n’est pas
une simple prophétie ou annonce, mais une parole efficace qui procure la
joie et le bonheur. Bref, cette salutation est celle de la « paix messianique »
qui coïncide avec le salut (cf. Luc 10, 5-6). L’envoyé, comme le Seigneur,
établit avec ceux qui le reçoivent une relation dans laquelle on commence
à vivre la paix du Royaume. Son comportement le conduit à dépendre de
ceux qui l’accueillent, auxquels il confie son corps et sa vie. Par conséquent,
le missionnaire est complètement exposé, même en ce qui concerne sa
subsistance, aux risques de la mission : accueil ou refus, succès ou échec.
« Maison » ou « ville » symbolisent la vie privée et la vie publique. L’envoyé
dépend de l’hospitalité de celui qui accueille le message, mais rien ne peut
arrêter ou entraver la poursuite de sa mission : c’est un missionnaire qui
apporte l’ultime et urgent appel de la possibilité du salut, qui doit parvenir,
coûte que coûte, aux oreilles de tous, dans le coeur de tous.